Si un jour, tu oublies, noyé au milieu des fichiers Excell et des premiers cheveux gris, cette vue irréelle sur les montagnes des thés Lipton à 100 roupies, ferme les yeux mon ami et souviens-toi.

Ton corps battu et ton coeur battant, sur les chemins qui s’étendent vers l’inconnu. Ton sourire haletant lorsque tu pars aux premières lueurs, que les premiers rayons repoussent les heures noires et adoucissent ta torpeur.

Souviens-toi des visages et du regard de ces inconnus, qui te croisent pour une unique et dernière fois ; tu es une étoile filante dans leur vie, vie qui vous éloigne en quelques pas. Mais l’espace de quelques moments, aussi fugaces que les murmures du vent, toi et lui, elle, cet enfant, vous avez partagé cet air frais et froid, si perçant; une vue sur un monde minéral sculpté de gris et de blanc, que personne, je dis bien que personne, de véritablement humain, celui dont le cœur d’enfant bat encore pour des promesses d’aventures, ne peut regarder sans être ému jusqu’aux larmes, larmes dédiées à une beauté millénaire, une déesse de pierre qui est là, éternelle, pour embraser et envouter les âmes.

Souviens-toi de ces porteurs et de ces yaks. Où sont-ils aujourd’hui ? Les heures, les jours, les années ont passé, sur ces ponts suspendus aux drapeaux tibétains dansants, où sont-ils passés, ces heures, ces jours et ces années, qui aujourd’hui, effacés, ne sont plus ?

Souviens-toi de ces repas à la fin de la journée. De ce sac qui semble si lourd, de ces lanières qui avalent ta peau rougie, de ces douches au seau placé au milieu d’une chambre aux pierres glacées. Point de confort moderne et bourgeois si ce n’est celui de la chaleur de ces quelques gobelets d’eau fumante que tu lances sur ton corps sec et endolori. Celui savonné et tremblotant, qui parait si las des kilomètres traversés, mais qui ronronnera de plaisir tel un vieux chat, une fois qu’il sera propre et séché.

Te voici maintenant avec tes vêtements pour la soirée. Ceux que tu gardes propres au fond du sac pour le repos. Ta peau sent le savon marseillais et tes yeux brillent de mille mots. Dans la salle commune, on s’assied, sans TV ou téléphone. On éloigne les minutes glacées, près du poêle en attendant le repas. Souviens-toi de ces quelques phrases, lancées ci et là par des inconnus, qui tels de Père Castor de la montagne, te content leurs sentiers et toi, tu souris et tu oublies, bercé, de minutes qui défilent.

Les montagnes chantent dans la nuit. Un spectacle de mille feux. Les couleurs de l’arc-en-ciel embrassent les nuages, les étoiles, elles, sont suspendus tels les lanternes d’un village lointain. Te voilà assis sur un banc, seul, à compter l’immensité. Ces mêmes questions reviennent te hanter, toi qui enfant, posait aussi tes yeux sur la Nuit, cet inconnu.

Souviens-toi, oh souviens-toi, car moi, je ne pourrai jamais l’oublier. L’odeur si particulière de cette encre, lorsque tu noircis les pages de ta propre vie. Sans de véritables objectifs trimestriels, de powerpoints ou de KPIs, non, sans charges mensuelles, taxes et soucis. Tout ceci est et restera pour un demain, lointain et au-delà des frontières. Car tu es ici et maintenant sur ton propre chemin, le seul et unique maître de ta vie, de ta destinée sur cette Terre.

Souviens-toi et n’oublie jamais, cette liberté que tu ressens et que tu connais, cette liberté si fragile, elle n’a pas vraiment de prix. Tu l’as ressenti sur les chemins du Népal, mais, la ressens-tu encore aujourd’hui ?

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