Là-haut, c’est la porte d’un autre monde. Un monde plus calme. Un monde plus beau. Plus sauvage. L’air y est plus pur. Le silence plus solennel. Le paysage, comme un appel à l’aventure. Aux exploits qui résonnent jusqu’en bas de la vallée ou ceux, plus nombreux, modestes avec lesquels on écrit nos épopées personnelles. Là-haut, une mer blanche nous encercle, nous, petits marins des glaces, emmitouflés dans notre embarcation suspendue aux dessus des nuages.
A la proue du navire perché à 3450m d’altitude, un couple de gardien des plus souriants, Laura et Louis. La Meije nous toise de son regard qui, vu d’ici, nous semble des plus bienveillants. Bienvenu au Refuge de l’Aigle.
C’est à chaque fois la même histoire. Qu’est-ce qui nous pousse à caresser les étoiles ?
On se le demande lorsque nous attendent les 2000m de montée avec un départ dans la pierraille brûlante en guise d’entrée (et parfois quelques vaches courroucées protégeant leurs petits). Peu à peu, mètre après mètre, l’air devient plus frais, l’air se raréfie, les crampons mordent les premiers névés et, après quelques heures d’efforts, derrière un éperon rocheux, frêle îlot de pierre face au colosse en face, nous y voilà. Enfin. Un sourire se dessine sur notre visage quelque peu fatigué. Nous avons trouvé notre havre pour la nuit. Notre pont d’observation pour le reste de ce qui s’annonce une magnifique après-midi.
Il n’y a plus de questions qui tiennent. Les efforts sont oubliés. La vue qui s’offre à nous est la réponse que nous attendions. J’aime à dire que la montagne nous rend poète, un brin philosophe. Je le pense. Loin d’un monde où tout va à un rythme effrénée, ici, le souffle court, on ne peut que ralentir. On s’assied, on sourit, on observe. Les heures passent, les ombres se rallongent. A la nuit tombée, c’est une explosion de couleurs. Nous savons, au fond de nous, que ces instants ne se font, pour nombre d’entre nous, que bien trop rares dans nos vies.
On se vide l’esprit, on délaisse le manteau de nos soucis à la contemplation de ce tableau merveilleux, si merveilleux, comme si cela pouvait être le dernier. Et, même si nous n’osons pas nous l’avouer, même s’il est délicat d’en parler, il y a une réalité dont tous les professionnels ont conscience et que tous ont vécu. Certains l’évoquent, difficilement, à demi-mot. Pudeur et douleur du montagnard. La montagne émerveille…
mais cet émerveillement prend parfois des vies. Collègues, clients, amis, proches. Moi qui est seulement perdu mes crampons sur une arrête, lors de ma tentative d’ascension de la Meije Ouest (récit à venir) et qui, sans la présence de mon guide, aurait pu perdre bien plus, j’ai une pensée pour la famille de ces trois personnes qui ont tragiquement disparu sur le massif de la Meije, lors de ce mois d’août. Ces tristes et dures nouvelles mettent fin à 7 ans de quiétude. Je ne pense pas la montagne hostile. Pour moi la montagne « est ». Pour ces immenses tas de pierres hors du temps, nous ne sommes que des éphémères de passage. Et parfois notre insouciance, la faute à pas de chance, notre arrogance teintée quelques fois d’inexpérience, font que des êtres à jamais s’y égarent. Là-haut, nous sommes plus prêt des étoiles et nos âmes parfois les rejoignent. Il en va ainsi comme du reste. On ne peut pas en vouloir à la montagne d’être le réceptacle de nos rêves. Aussi beaux et grands soient-ils, cher est le prix que certains d’entre nous payent pour tenter de les atteindre… nous n’avons plus qu’à serrer les dents, sécher nos larmes et aller de l’avant.
Le Refuge de l’Aigle un refuge mythique, une perle située dans le massif des écrins. Il appartient à l’histoire de l’alpinisme. Une histoire que les amoureux de la montagne que nous sommes perpétuent génération après génération. Un refuge à l’histoire centenaire dont les débuts remontent à 1910. Ce refuge, comme tant d’autres, a connu plusieurs vies. Depuis peu, 2014 très exactement, il noircit les nouvelles pages de son existence. La nouvelle structure, intégrant l’ancienne (ils ont gardé la veille charpente de bois réaménagée en vallée), est, pour moi, comme un clin d’œil au passé. Un hommage aux anciens. Un hommage à ces pionniers qui ont ouvert les voies bien avant nous.
Pas de tabula rasa. Les refuges, comme la montagne, ont une histoire. Il ne tient qu’à nous de vouloir la préserver. La protéger. Cela prend parfois du temps de concilier les espoirs et désirs de chacun mais, une fois fait, c’est tous les amoureux de la montagne qui en profitent.
source image : site refuge de l’aigle
Concernant le confort du refuge, la disponibilité et l’accueil des plus chaleureux des gardiens actuels, Louis et Laura, en fait, selon moi, un délicieux cocon douillet.
Je sais que certains d’entre vous sont peut-être nostalgiques de l’image d’un gardien rugueux au sourire aussi rare que les prises électriques mais, pour ma part, je préfère largement cette ambiance. Rajeunie, souriante, bon enfant. Au refuge de l’Aigle, sachez qu’on n’y mange très bien (et le rab remplit le ventre des plus gourmands/exigeants. J’ai même du déclarer forfait!) et, pour ceux qui sont acclimatés et ont sagement pensé à apporter leur boules quies, on y dort fort bien aussi. On y dort bien même lorsque le refuge est totalement complet comme ce fut le cas lors de notre passage.
Il y a une salle commune qui fait office de salle à manger et de dortoir. Dans le nouveau refuge, tout est très bien agencé. Tout est très fonctionnel. Même plein, on n’a pas la désagréable impression de se monter les uns sur les autres. Vous pouvez également, lorsque les prises en cuisine sont disponibles, recharger les batteries de vos appareils, en demandant gentiment aux gardiens. Je sais que c’est totalement superflu pour certains mais pour ceux qui ont gopro et smartphone, c’est toujours un petit confort moderne bien agréable à cette altitude. A noter, il n’y a, par contre, pas d’eau ni de gaz en libre accès. Il est néanmoins possible d’acheter de l’eau, et bien d’autres boissons, sur place. En cas de mauvais temps, il y a livres et jeux de société pour vous occuper.
Si vous me demandez si c’est une magnifique aventure à vivre ? Si une ascension jusqu’au Refuge de l’Aigle vaut vraiment l’effort ? Oh que oui ! Indéniablement un de mes plus beaux séjours en refuge à ce jour 😉
P.S : les photos que vous voyez ont été prises avec un simple smartphone (je voulais monter léger) sans retouches… amis photographes, on peut se faire plaisir !
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Salut ! C’est la première fois que je fais un tour sur ce blog, et il faut dire que j’ai été très impressionnée par la façon dont vous présentez vos infos. Ce blog me fait rêver et me donne envie de faire le tour du monde.
Merci de ton commentaire Sarah :) Je te souhaite de parcourir le monde !
Je le souhaite aussi !
Très joli article, j'adore l'atmosphère que tu décris, l'ivresse des sommets... Ton smartphone a été sympa (ou le photographe talentueux) : jolies images !
Merci Ariane ;) Avec un smartphone, on peut de nos jours réaliser des clichés potables ;)
Rahhhh ca le donne trop envie !!!
:)
Bonsoir Piotr, merci beaucoup pour cet article, un vrai plaisir de te lire, un voyage en soi de se laisser bercer par tes mots...
Mais de rien Karine. je viens de publier un nouvel articles sur les Hautes Alpes (sur le blog Bien Voyager par contre)